La mission Jeanne d’Arc 2016 est partie de Toulon le 3 mars 2016; elle y est rentrée le 21 juillet. Ce déploiement opérationnel de longue durée d’un groupe amphibie a été, pour sa 7èmeédition, articulé autour du bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre et de la Frégate de type La Fayette (FLF) Guépratte. La mission a été déployée en Méditerranée orientale, en océan Indien, en mer de Chine méridionale et en Océanie pendant plusieurs mois. Elle est l’exemple même de la diversité des missions que la Marine nationale conduit dans un cadre interarmées et interallié, et son déploiement a été l’occasion de renforcer les liens de la France avec divers pays à travers des exercices conjoints et rencontres. Comme tout bâtiment déployé, le groupe a également été en mesure, si besoin et sur ordre du chef d’état-major des armées, d’être engagé en opérations. En tant que déploiement amphibie, le groupe Jeanne d’Arc a embarqué un détachement de l’armée de terre : soixante militaires de la 6èmeBrigade Légère Blindée et des véhicules légers du 21èmeRégiment d’Infanterie de Marine. Des militaires et hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de terre étaient aussi présents dans le groupe Jeanne d’Arc. Pour les 130 jeunes officiers français et étrangers issus de l’ École navale, ainsi que du commissariat des armées, de santé militaire, et des affaires maritimes, ce déploiement opérationnel est une formation pratique en situation réelle leur permettant de développer leur posture de chef militaire et d’expert dans leur domaine. Parmi ces officiers, la mission Jeanne d’Arc accueille pour la première fois 29 officiers sous contrat dits « Nouvelle Génération », c’est-à-dire titulaires d’un diplôme d’études supérieur et ayant été intégrés à l’ École d’Application des Officiers de Marine. 234 présentations au ravitaillement à la mer, 120 exercices d’hommes à la mer, plus de 100 entraînements de sécurité réels et 1000 exercices de sécurité papier ont été menés depuis le départ de la mission le 3 mars. 1 430 manœuvres d’aviation ont été réalisées, le plus souvent avec le Guépratte. La participation des troupes américaines illustre un des aspects majeurs de ce déploiement, l’approfondissement de notre capacité à travailler avec les marines amies. Le groupe « Jeanne d’Arc » a ainsi mis à profit chaque occasion pour réaliser des manœuvres d’aviation ou navales avec des moyens étrangers : hélicoptères NH90 omanais, frégates singapourienne, indienne, japonaise, malaisiennes, vietnamienne… autant d’occasions de s’entraîner à opérer avec les équipages étrangers. « Les cross deck avec les marines alliées, notamment un SH60 japonais et un MH60 américain, ont pu renforcer notre niveau d’interopérabilité » souligne ainsi le maître Julien, directeur de pont du Guépratte.
Ces échanges opérationnels et les escales réalisées ont contribué au rayonnement de la France dans ces pays amis. Des moments de découverte qui ont permis de se régénérer entre des périodes de mer très intenses. Naviguant en océan Indien, en mer de Chine et jusqu’en Australie, le groupe « Jeanne d’Arc » a pu porter haut les couleurs de la France sur une large partie du globe.
Embarqué à DJIBOUTI et débarqué à HAIFA, François-Henri BRIARD a participé à une partie de la mission notamment en présentant une conférence à bord sur les nouveaux droits politiques et syndicaux du personnel militaire français.
" Ce que notre époque a de plus singulier est la conviction que le mal est installé au cœur de l'Histoire et le refus frénétique de ce constat. L'homme du XXIème siècle présente ainsi une étrange ressemblance avec l'homme primitif qui cherche à repousser le mal au-delà du monde connu et à le transformer en tabou. Pour lui comme pour nous le mal porte malheur. Il faut s'en détourner. Mais notre monde n'a plus de frontières au-delà desquelles il serait possible de rejeter ce qu'on ne veut pas voir, et l'expérience du mal a une telle force dans les consciences contemporaines, le désordre des esprits et des choses est si manifeste, que l'urgence est plutôt de redonner vigueur à ce qui peut tempérer l'angoisse partout présente. La peur du lendemain et l'incapacité de supporter l'adversité ne menacent pas seulement la paix des esprits, elles renforcent aussi l'instabilité des choses. Les interrogations les plus douloureuses sur l'avenir sont ainsi celles que produisent les époques troublées, qui ont connu des cataclysmes naturels ou politiques, et qui sont dans l'attente de métamorphoses ou d'apocalypses. C'est très exactement ce que l'on peut lire dans les regards de nos contemporains : l'attente de quelque chose qui n'est pas encore nommé, et qui a des liens secrets avec la mémoire refoulée et l'anticipation de l'avenir. L'histoire du siècle passé, cet hortus inclusus dont nous sommes les prisonniers involontaires, contient tant de malheurs à méditer que l'on sent parfois le poids des morts, fauchés par les guerres et les révolutions, comme des fantômes errant dans nos villes en demandant justice. Quant à l'avenir, il paraît si profondément déstructuré que les desseins sont tous vulnérables, comme la paix est précaire. La promesse d'avenir est ce qui fait le plus défaut au monde contemporain, dont la conscience a un caractère crépusculaire. L'Occident devrait comprendre mieux que toute autre partie de la planète ce qui est en cause dans ce crépuscule, car il connaît les signes du déclin et possède des catastrophes une expérience séculaire. Ayant longtemps contribué à donner au monde sa forme intellectuelle, il ne peut ignorer que le chaos des idées est plus alarmant encore quand on le voit à l'œuvre dans les sociétés occidentales. Celles-ci ne constituent plus un modèle pour le reste du monde, et ont même perdu leur rôle plus modeste d'inspiratrices. Etant elles-mêmes pleines de confusion, comment pourraient-elles le remplir ? Prôner la modération, l'argumentation et un retour de l'activité rationnelle est une tentation légitime, qui n'est pas sans mérite. On peut craindre cependant que cet appel ne soit voué à l'échec pour au moins deux motifs. Le premier vient de la façon dont la raison a été disqualifiée parce qu'elle a permis de tout justifier, y compris 'injustifiable, et dont le mensonge a prospéré sous tous les cieux. Les idéologies ont été le produit d'hypertrophies de l'activité rationnelle, dont on voit les premières aberrations au XVIIIe siècle, et c'est elle qui a donné naissance aux monstres clairement annoncés un siècle plus tard par des esprits visionnaires comme Nietzsche. Le second motif est d'un tout autre ordre. Ce qui frappe le plus dans les expressions de la conscience contemporaine, ce n'est pas tant l'exigence rationnelle que le besoin de faire à nouveau une place à l'irrationnel, composante essentielle du psychisme humain. Carl Jung s'était inquiété d'une évolution qui condamnait les individus au déséquilibre en frustrant ce qu'il appelait « le côté mythique de l'homme » et en interdisant l'expression de ce que l'esprit ne peut saisir rationnellement. Au moment où la religion fait un retour fracassant sous des formes violentes et destructrices, ce serait un immense progrès de s'interroger sur le vide spirituel qui mine nos sociétés, et sur les déséquilibres psychiques qui accompagnent ce phénomène. Si l'on ne parvient pas à trouver une harmonie nouvelle entre le rationnel et l'irrationnel, les excès de l'un comme de l'autre – à présent, plus probablement ceux de l'irrationnel – peuvent à nouveau produire des catastrophes collectives. Quant à la raison, il lui faudrait retrouver le fil d'une pensée perdue. Les questions qui ont agité l'humanité pendant des siècles sur la liberté humaine, le sens de l'histoire, la responsabilité politique, sont toutes devenues suspectes. Elles n'ont pas pour autant disparu, mais depuis la fin du XIXe siècle, la politique semble n'avoir d'autre but qu'elle-même – c'est-à-dire l'exercice du pouvoir – ou le développement de l'économie. Adam Smith4 avait annoncé les périls qui guettent les nations où priment les intérêts économiques : « Les intelligences se rétrécissent, l'élévation d'esprit devient impossible... et il s'en faut de peu que l'esprit d'héroïsme ne s'éteigne tout à fait. » Il conclut, comme nous pourrions le faire : « Il importerait hautement de réfléchir aux moyens de remédier à ces défauts. » En effet. Car il vient un moment où la faiblesse de l'intelligence et de la volonté ne permet plus de saisir non seulement les responsabilités que l'on a dans les affaires du monde, mais encore ses propres intérêts de sécurité. On ne s'étonne pas assez de cette évolution. Car dans toute l'histoire de l'humanité il n'est pas d'époque où les dangers de la politique et les limites de l'économie aient été l'objet de démonstrations aussi brutales. Il n'en est guère non plus où l'éthique ait été présente de façon plus évidente au cœur de l'action publique. La question centrale posée par le totalitarisme était celle de la liberté humaine, de la négation de l'individu, de la capacité de résistance à la terreur et du meurtre de masse. C'est aussi celle que pose le terrorisme, qui nie la liberté avec toute la violence dont il est capable. Dans un monde sans direction, qui va à vau-l'eau et travaille dans le vide, la liberté humaine n'a peut-être pas grand sens. Mais si l'on évoque le paroxysme de violence des nouveaux terroristes ou l'excès de cupidité de réseaux clandestins vendant au plus offrant tous les composants de l'arme nucléaire, chacun comprendra que l'on s'interroge sur le monde qui est ainsi en préparation, mais aussi sur ce qui l'a conduit sur ces dangereux rivages".
L'Ensauvagement Thérèse DELPECH, Grasset, 2005